L’hebdomadaire le Journal
de Berck rapporta l’inauguration du cimetière militaire et du monument
aux morts de Berck dans son édition du 24 septembre 1922
L’inauguration du monument aux
morts de Berck a eu lieu dimanche. La municipalité avait donné
un grand éclat à cette cérémonie, qui eut lieu
en présence de l’évêque d’Arras et de plusieurs parlementaires.
En voici le compte rendu détaillé :
Réception des autorités
Le matin, à dix heures
et demie, les autorités, les invités et les sociétés
locales avec leurs drapeaux, furent reçus à la mairie par M.
Malingre, maire, entouré du conseil municipal. Dans l’assistance très
nombreuse on remarquait notamment : M. le sous-préfet Peyriga,
de Montreuil, représentant le Gouvernement ; MM. Les députés
Pasqual, docteur Berquet, Narcisse Boulanger et Victor Morel ; Tattegrain,
président de Tribunal ; Mgr Julien, évêque d’Arras ;
Ledoux, conseiller général ; de Lhomel, président
du Souvenir Français ; Gerbore, président du conseil de
préfecture du Pas-de-Calais ; docteurs G. Richez, Bertin, Andrieux,
commandant Quettier, ancien maire de Berck ; lieutenant de gendarmerieLempereur ;
Duvet, président des anciens combattants ; Thorel, Hermal, Miner,
président de la société d’agriculture de Montreuil ;
Pentier, Demortain, adjoints ; Dehaut, Vincent, Ruin, Rivet Pierre,
Rivet-Bouret, conseillers municipaux ; Froissart, vice-président
du conseil d’arrondissement ; Tahon, percepteur ; Clap, inspecteur
primaire ; Cleuet, Rozier, commissaire de police de Berck ; Cauvet,
président des Prud’hommes ; Baillet, capitaine Damay et de nombreux
officiers de réserve ; capitaine Daumanjou, représentant
le ministre de la Guerre ; le juge de paix de Montreuil, les représentants
de la presse, le docteur Fontaine, président de la ligue des familles
nombreuse, Becquart, Mme veuve Debeyre, Ramon fils, etc.
M. Malingre, maire, souhaita la bienvenue aux invités en quelques
paroles cordiales, puis un cortège se forma et l’harmonie de Berck
en tête, se dirigea vers l’église, aux accents de morceaux de
musique parfaitement exécutés.
La messe eut lieu et l’absoute fut donné par Mgr Julien.
Au cimetière militaire
Discours de M. Duvet
« M. le ministre de
la Guerre et des Pensions a bien voulu nous faire l’honneur de nous déléguer
M. la capitaine Daumanju, grand blessé de guerre, pour assister à
l’inauguration du cimetière militaire de Berck. Je le prie de transmettre
à M. Maginot, notre dévoué et sympathique ministre, le
remerciement respectueux du conseil d’administration de notre grande association.
Nos remerciements vont aussi à M. l’intendant Bezombes, chef du service
des sépultures militaires et à son dévoué collaborateur,
M. le capitaine Santiny, qui nous a beaucoup faciliter la tâche et près
desquels, lorsqu’il s’est agi de regrouper les corps de nos grands morts,
j’ai personnellement trouvé l’accueil le plus cordial et le plus affable.
Je suis heureux de leur rendre cet hommage public.
Quant à vous, M. le capitaine Daumanjou, vous êtes des nôtres ;
la grande famille des combattants de notre région vous salue et vous
remercie. Votre présence parmi nous est la preuve évidente de
l’intérêt que port à notre œuvre M. la ministre de la
Guerre et des Pensions. Encore une fois, au nom de tous nos camarades, merci.
Dans ce cimetière militaire, mesdames, messieurs, les combattants
de Berck sont tous très fiers. En le créant, ils ont tenu à
montrer qu’ils voulaient rester en étroite union, en étroite
communication, avec leurs camarades victimes de la grande guerre. Ce champ
de repos, qui est notre œuvre, prouve que notre belle association ne pense
pas seulement aux vivants qu’elle protège chaque jour ; elle a
voulu que les familles qui nous ont confié la garde de leurs chers
disparus puissent au moins avoir la consolation de savoir leurs tombes bien
entretenues ; à ce devoir de grande reconnaissance due à
ceux qui sont morts pour que la France vive, les anciens combattants de Berck
ne failliront jamais. »
Le cortège s’arrête devant les nombreuses tombes des militaires
français et alliés tombés au champ d’honneur et admire
leur parfait entretien. Le cimetière militaire a fait l’admiration
de tous les visiteurs. Le cliché que nous publions ci-dessus et qui
est l’œuvre de M. Thorel, donne une idée exacte du soin qui présida
à la mise en œuvre de cette nécropole. Une grande partie revient
à M. Duvet et c’est à lui et à ses collaborateurs que
doivent aller les éloges et les remerciements. La visite terminées,
les autorités et les invités montèrent dans des autocars
mis à leur disposition et l’on gagna Berck-Plage, où, à
l’hôtel Continental, avait lieu le banquet.
Le Banquet
Celui-ci fut servi de façon parfaite. Il était des mieux composés.
La plus grande cordialité ne cessa de régner entre les convives
qui étaient au nombre d’une centaine environ.
Les discours
Discours de M. Malingre
« messieurs,
Avant de vous remercier au nom
de la ville de Berck d’avoir bien voulu répondre à notre invitation,
laissez-moi, je vous prie, saluer respectueusement la malheureuse veuve ,
le cher orphelin, l’ascendant affligé et le glorieux mutilé
qui nous ont fait l’honneur de venir aujourd’hui s’asseoir à notre
table. Je vous présente ensuite les excuses de M. Boudenoot, vice-président
du Sénat, de MM. Les députés Delesalle, Lefebvre du Prey,
baron des Lyons, de M. Ricquier, conseiller général ; Denoyelle,
conseiller d’arrondissement, de la bienfaitrice de Berck, Mme la baronne
James de Rothschild, de sa fille, Mme la baronne Léonino, de M. le
procureur, de M. le juge d’instruction, de M. Fontaine, maire de Montreuil,
de M. l’archiprêtre de Montreuil, des docteurs Sorel, Cayre et Loze,
de M. le directeur de l’hôpital maritime, de MM. Becquart, d’Houdain,
Wattelier, Macquet-Froissart, Léon Nortier, qui m’ont exprimé
leurs vifs et sincères regrets de ne pouvoir se joindre à nous.
M. le préfet du Pas-de-Calais, retenu par d’autres obligations, à
bien voulu désigner pour le remplacer, un combattant de la grande guerre,
dont la boutonnière ornée de la rosette rouge, dit plus éloquemment
que des paroles, quels sont ses titres de gloires. Je vous prie de croire,
monsieur et cher sous-préfet, que nous sommes particulièrement
heureux et fiers de cette désignation.
La cordiale sympathie qui nous unit depuis si longtemps au bon et dévoué
député de Montreuil, M. le docteur Morel, m’avait d’avance donné
l’assurance de son acceptation dont je lui suis infiniment gré. Je
regrette que l’état de santé de sa bonne vieille mère
(elle a 79 ans) l’ait obligé de retourner précipitamment à
Campagne[-les-Hesdin]. Je forme les vœux les meilleurs pour le prompt rétablissement
de celle qu’il vénère. Il m’est particulièrement agréable
de pouvoir saluer ses collègues au Parlement qui, eux aussi, sont pour
Berck de bons et fidèles amis, MM. Berquet et Narcisse Boulanger, député
du Pas-de-Calais ; M. Pasqual Léon, député du Nord,
que les Berckois revoient toujours avec plaisir. Mgr Julien, évêque
d’Arras, a bien voulu lui aussi, venir rendre un éclatant hommage aux
enfants de Berck. Je l’assure de notre respectueuse reconnaissance.
M. Gerbore, vice-président du conseil de préfecture ;
M. le docteur Quettier, mon honoré et estimé prédecesseur ;
M. le capitaine Demanjou, délégué du ministre de la Guerre ;
M. Duvet, président de l’association du Souvenir Français (…).
Merci à tous au nom de la ville de Berck. Merci aussi à toutes
les personnes qui ont, à un titre quelconque, rehaussé de leur
présence ou apporté leur bienveillant concours à l’éclat
de cette imposante manifestation. (…) Nous avons gardé au cœur les
souvenirs et toutes les douleurs de l’épopée et de l’holocauste.
Ce n’est pas le moment ni le lieu de traduire tout ce qui remplit nos âmes.
Tout à l’heure devant le monument que nous allons inaugurer, nous
jurerons de suivre l’exemple de nos chers et glorieux disparus, nous jurerons
de servir passionnément la France qu’ils ont sauvée et agrandie.
En attendant, chers enfants de Berck morts au champ d’honneur, permettez-moi
d’adresser un solennel hommage à vos compagnons d’armes, aux héros
d’hier qui ont eu la chance de survivre à ces temps tragiques, qui,
eux aussi, ont contribué si puissamment à notre victoire, et
qui n’ont posé le fusil que pour reprendre l’outil, comprenant que
notre cher pays, qui demandait alors que l’on combatte et que l’on meure,
veut aujourd’hui que l’on vive et que l’on travaille fraternellement unis
avec toutes nos forces, toute notre âme, tout notre cœur.
Messieurs les combattants de la grande guerre, je vous prie de croire en
nos sentiments reconnaissants et je vous donne l’assurance que les glorieux
mutilés et réformés, que les veuves, les ascendants et
les orphelins ne seront jamais par nous oubliés, et qu’ils seront toujours
l’objet de notre constante sollicitude.
Le droit acquis des victimes et des combattants de la grande guerre sont
pour nous sacrés, et nous ne perdrons jamais de vue les devoirs qu’ils
nous imposent.
Nous avons lutté et triomphé
pour la liberté du monde, nous avons souffert plus que les autres,
nous ne convoitons aucun agrandissement de territoire, nous ne réclamons
aucune hégémonie, nous ne voulons écraser ni humilier
personne. Nous sommes de braves gens qui ont été troublés
dans leur travail, qu’on a brutalement attaqués, dont on a ravagé
la terre natale. Nous demandons seulement à reprendre dans la paix
notre tâche quotidienne. Mais il fait bien que ceux qui ont voulu la
guerre en subissent les conséquences. Il faut bien que l’Allemagne
paie pour les crimes qu’elle a commis. Il faut bien qu’elle répare
les dommages qu’elle a systématiquement causés.
C’est cela que réclame
avec tant de fermeté M. Poincaré, président du Conseil.
le devoir de tous les Français et de se serrer autour de lui, de l’aider
de toute la force de notre respectueuse confiance dans la tâche qu’il
poursuit avec tant de courage et de dévouement.
Il faut espérer que le problème des réclamations sera
résolu définitivement dans la prochaine conférence, en
plein accord avec nos alliés. C’est dans cet espoir que je lève
mon verre en l’honneur des combattants de la grande guerre. Et que je bois
à la santé d’un des leurs, M. Peyriga, officier de la Légion
d’honneur, qui représente si dignement le Gouvernement de la République
dans l’arrondissement de Montreuil.
Et haut les cœurs !
Pour la France ! Pour la patrie ! »
M. l’abbé Asset, curé de Berck-Plage, lut ensuite un sonnet
à Mgr Julien et lui adressa quelques paroles, le remerciant de sa présence.
Il fut très applaudi.
Puis, M. Narcisse Boulanger adressa ses remerciements au maire et glorifia
nos poilus. Il fit appel à l’union de tous les Français et leva
son verre à la prospérité de la France et de ses habitants.
Mgr Julien prit la parole enfin. Dans un discours finement développé,
il préconisa l’union d tous, sans distinction d’opinion, pour un seul
et même idéal : celui de la grandeur et de la prospérité
de la France.
Voici quelques passages de son discours qui fut interrompu souvent par des
applaudissements :
« je suis invité à prendre la parole, presque forcé,
mais c’est de tout mon cœur que je vous dirais ma joie de me trouver au milieu
de vous unis dans un même sentiment, l’idéal de la Patrie, et
il est toujours doux de vivre dans un tel sentiment. La nécessité
de l’union est un sujet que j’aime à prêcher, je puis même
dire que ce sentiment m’est inné, et avant même que l’opinion
se fit sentir, je le possédais déjà de grand cœur. Je
n’ai pas attendu pour que la France s’aime d’un amour idéal ;
cette journée va, j’en ai l’espoir, vous pénétrer plus
profondément de cette nécessité de vous aimer d’avantage
et de nous unir autour d’un idéal particulier. La France a des charmes
tels que le monde entier l’aime, de quelque point de l’horizon qu’il vienne.
Il peut y avoir des divergences de vues, mais tout le monde dans le fond du
cœur, aime le cher pays de France. (Bravos répétés)
Permettez-moi de faire une comparaison, la France est comme un diamant ayant
des facettes très nombreuses, reflétant toutes les couleurs
comme tous les sentiments, toutes les opinions, toutes les croyances. Elle
est de tous les côtés lumineuse, et on est forcé de l’aimer.
Comme dit le président
du Conseil, la paix est une œuvre qui commence tel jour et qui ne finit jamais.
Pour qu’elle dure, il faut y travailler ; il faut mettre en commun toutes
les ressources. Les difficultés sont immenses à l’heure actuelle.
Le tout est de juger les choses… impartialement ».
Mgr Julien adresse ensuite des
remerciements à M. le curé de Berck pour ses vers et à
son tour lève son verre à la France et à ceux pour lesquels
il est ici, à nos chers morts si nombreux, et aux anciens combattants,
sans oublier les veuves et orphelins. (…)
M. Peyriga dit qu’il est heureux de remplacer M. le préfet absent,
car cela lui permet de redire les paroles d’union qu’il avait déjà
prononcées à Berck, il y a deux ans, au nom d’un grand ministre,
M. Maginot. « Je suis d’autant plus à mon aise, dit M.
le sous-préfet, que Mgr Julien est l’auteur d’un mandement admirable
dans la forme comme dans le fond, où il a écrit que la religion
ne devait pas être un État dans l’État, mais une école
de morale collaborant avec le gouvernement pour ramener, après une
guerre terrible, le respect du foyer, l’amour du prochain, l’abnégation
et le culte de la patrie. Nous avons un amour commun, la France, le même
idéal, la République. Nous pouvons avoir des opinions différentes,
car en République chacun doit avoir la liberté de penser, mais
nous devons bannir les querelles et nous grouper dans un commun amour, la
France ».
Et M. Peyriga excuse M. Morel qui, partagé entre le double devoir
du fils et du député, a tenu à venir assister la matin
à l’office religieux, pour montrer son respect des opinions d’autrui,
mais a dû retourner au chevet de sa mère gravement malade. (..)
Il termine son toast en levant son verre au président de la République,
au président du Conseil et à l’armée française.
L’inauguration
A 16 heures, place de l’hôtel de ville, ont lieu le rassemblement
et la formation du cortège dont voici l’ordre du défilé :
En tête, la compagnie de sapeurs-pompiers, puis les enfants des écoles
sous la conduite de leurs maîtres et maîtresses ; les nombreuses
gerbes et couronnes (..), l’harmonie de Berck, le maire, le sous-préfet,
les députés, les membres du comité du monument, le conseil
municipal, les familles des morts pour la France, les membres des associations
d’anciens combattants et médaillés militaires avec leurs drapeaux ;
les délégations d’anciens combattants des environs, les vétérans
de 1870, les diverses sociétés locale et enfin la foule très
importante et recueillie.
L’harmonie de Berck joue une marche militaire et, par les rues de l’Impératrice,
des Tempêtes et Saint-Pierre, toujours entre deux rangs d’une foule
respectueuse, le cortège arrive au monument.
Ce dernier, dû au travail du statuaire Gourdon, est une pyramide assez
élancée, au milieu de laquelle un fusilier marin et un poilu
blessé sont veillés par une Vierge.
Tout autour, les noms des 330 Berckois tombés au champ d’honneur.
Partout des fleurs, gerbes, couronnes et drapeaux. A l’entrée du
cimetière, un arc de triomphe est dressé. Le cent qui commence
à souffler assez fort, sans que toutefois la pluie vienne, fait son
apparition, déchire les bandes de toiles. Soudain, les accents d’une
marche éclatent dans un silence impressionnant, et au son de cet hymne,
le cortège arrive et se groupe autour du monument. Mgr Julien, entouré
du clergé, bénit le monument, après que le curé
de Boisjean eut chanté la prière des morts.
M. Pentier, premier adjoint, lit la longue liste des morts.
Puis les discours.
Discours de M. Malingre
« Mesdames, messieurs,
C’est le cœur rempli à
la fois d’une fierté patriotique et d’une douloureuse émotion
que je prends la parole. Je remercie de nouveau bien chaleureusement M. le
sous-préfet de Montreuil, MM. Les parlementaires, Mgr l’évêque,
les notabilités civiles et religieuses qui, avec toute la population,
sont venus se grouper autour de ce monument pour rendre un pieux hommage aux
enfants de Berck, morts pour la France, célébrer leur héroïsme,
honorer leur souvenir en témoignage d’admiration et de reconnaissance
et pour apporter à leurs familles la plus affectueuses expression de
solidarité et de respect. Je voudrais pouvoir glorifier comme ils le
méritent tous ces braves enfants dont les noms resteront gravés
dans nos cœurs, aussi profondément qu’ils le sont sur cette pierre,
et qui sont tombés là-bas, dans les vallons riants de notre
chers Alsace, dans les plaines basses de la Champagne, dans les marécages
des Flandres, au mont Kemmel, à Verdun, aux Dardanelles, pour la défense
de l’humanité. Mais je me sens impuissant à m’élever
à la hauteur de leur héroïsme. Je me contenterai de laisser
parler mon cœur, bien certain ainsi de trouver le chemin du vôtre.
Nous ne dirons jamais assez tout ce que nous devons à ceux qui ont
donné leur vie pour que la France vive, qui ont tout sacrifié
au plus sacré des devoirs, à la plus noble, à la plus
sainte des causes ; nous n’exalterons jamais assez les soldats et les
marins de Berck, tombés sur le champ de bataille ou engloutis dans
les profondeurs de l’océan, ou décédés dans els
hôpitaux des suites de leurs blessures, ou des maladies contractées
à la guerre, ou encore en captivité dans les geôles allemandes.
Les étapes du douloureux calvaire qu’ils ont gravi sont encore présentes
à notre mémoire. Pendant des mois qui devinrent des années,
ils ont vécu sous terre, dans l’eau, dans ces sépulcres qu’étaient
les tranchées, supportant sans se plaindre toutes les souffrances physiques
et morale, tombant pour ne plus se relever ou sortant affreusement mutilés
de la lutte infernale soutenue si bravement pour la Patrie, pour la Civilisation
et pour l’Humanité. Chers poilus de France ! Glorieux enfants
de Berck ! champions sublimes de la Liberté et de la Justice,
vous qui avez brisé le colosse allemand, châtiés ses
monstrueux forfaits, libéré le sol sacré de la Nation,
effacé les tristesses de 1870, rendu à la mère patrie
les provinces perdues, vous méritez que tous les peuples s’agenouillent
devant vous.
Nous nous inclinons avec vénération devant l’incomparable
grandeur de votre sacrifice et nous vous saluons tendrement, vous qui, après
des années de misères infinies, goûtez maintenant un inaltérable
repos au sein de la terre natale, auprès de ceux qui vous aiment,
seul adoucissement aux grands chagrins que votre disparition a causés.
Votre sacrifice mes chers amis, ne peut avoir été vain ;
et il le serait en partie si nous ne tirions pas les conséquences de
la victoire que vous nous avez donnée, si le peuple barbare qui avait
entrepris de dévaster la France ne faisait pas les réparations
nécessaires, s’il éludait les conditions du traité que
vous avez signé de votre sang, s’il lui était permis de forger
de nouvelles armes pour préparer de nouvelles hécatombes.
Dormez en paix chers enfants !
Ils sont là, devant nous, ciselés dans le marbre, les traits
héroïques du Poilu et du Marin de la grande guerre.
Si un jour venait, où certains seraient tentés d’oublier,
comme au jour de tempête monte de l’abîme la grande voix des
trépassés de la mer, ces pierres parleraient, et par la voix
des chers morts sont les noms sont là, elles sauraient aux vivants
rappeler leur devoir ; elles leur rappelleraient que si la patrie a
pu vaincre, c’est qu’autour du drapeau de la République se sont groupés
tous les citoyens, et elles les supplieraient de rester unis pour que du
sol fécondé par le plus pur sang de France, lèvent toujours
dans notre pays de nouvelles moissons de Fraternité et de Justice.
Honneur aux enfants de Berck morts pour la France !
Ils ne seront jamais oubliés !
Devant ce monument qui symbolise
leur héroïsme, qui perpétuera votre mémoire devant
les vaillants mutilés et réformés en présence
des anciens combattants, nous prenons l’engagement de rester dignes d’eux,
d’écouter leurs voix, de travailler fraternellement unis, au relèvement
de nos ruines, à la prospérité et à la grandeur
de notre cher et beau pays.
Tous ensemble nous irons vers l’avenir ouvert devant nous par la grande
victoire, tous d’un même pas, la tête haute, la main dans la
main, redisant avec tout son sens : Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux sui sont morts pour elle ! »
Discours de M. Duvet
« Mesdames, messieurs,
Au nom de l’association amicale des combattants de notre ville et des environs,
j’apporte à nos camarades morts au champ d’honneur l’hommage reconnaissant
de ceux qui ont combattu à leurs côtés et dont la plupart
ont versé leur sang sur l’autel de la patrie.
Habitants de Berck, en élevant ce magnifique monument, vous avez
voulu rendre un culte public à l’héroïsme, célébrer
l’esprit du devoir, vous incliner devant le sacrifice poussé jusqu’à
la mort, exprimer votre admiration et votre gratitude envers vos fils et vos
frères dont la fin glorieuse assura la liberté de notre sol.
Au nom des anciens combattants de notre grande et belle association, au nom
des familles de nos chers disparus, je vous remercie. Quand à vous,
mes chers camarades anciens combattants, mutilés, avec moi promettez
au pied de ce mausolée qui nous rappelle le souvenir de ceux qui ont
tout donné, de demeurer en rangs serrés, fraternellement unis,
comme vous l’avez été sur le champ de bataille ; et si,
parfois entraînés par la passion, vous manquiez à ce devoir
primordial de concorde, vous vous souviendriez que c’est l’union sacrée
qui a fait notre armée invincible, que c’est l’amour du drapeau qui
a procuré à la France cette victoire, qui lui permet de vivre
et d’être libre.
En souvenir de ceux qui ne sont plus, aidons-nous les uns les autres, travaillons
à réparer les malheurs de l’affreuse guerre, en atténuant
par un unanime effort les désastres immenses qu’elle a causés.
Que la mort de nos camardes, qui a gardé notre indépendance,
soit le profond scellement de notre union !
O grands morts, vaillants soldats de la plus grande des guerres, vos camarades
de l’association amicale des combattants de la Grande Guerre viendront souvent
au pied de ce monument élevé à votre gloire ; ils
y méditeront comme aujourd’hui et se rappelleront toujours qu’il leur
reste un grand devoir à remplir.
Vous avez légué à notre sollicitude vos pères
et vos mères, vos enfants, vos veuves ; ils sont entre nos mains.
Notre union scellée sur les champs de bataille, pour cette œuvre
continuera toujours, j’en fais le serment. Nous ferons en sorte d’adoucir
dans toutes les limites du possible leurs souffrances, et par ce fait, essaierons
d’atténuer la dette que le pays a contractée envers vous.
Camarades, poilus de la Grande Guerre qui reposez sous ce monument, dans
ce cimetière ou dans les champs de bataille, les membres de l’association
amicale des combattants de la Grande Guerre, ceux de la société
des médaillés militaires, vous admirent et vous saluent. »
Allocution de Mgr Julien
« C’est un spectacle bien consolant que présente presque
tous les dimanches dans notre région et sur toute la surface de la
France, celui où les populations reconnaissantes viennent inaugurer
des monuments élevés à la mémoire de ceux des
leurs qui sont bravement tombés dans la dernière guerre. Permettez-moi
habitants de Berck, de vous féliciter d’avoir fait par vos efforts
ce que nous avons sous les yeux.
D’abord, ce monument grandiose, et puis cette foule recueillie d’émotion,
fouillant au fond de son cœur tous les souvenirs déjà lointains.
Ce monument, il n’est pas besoin d’en commenter le symbole. Souvenez-vous
bien, habitants de Berck, de vos morts. Gardez-en la mémoire au fond
de votre cœur. Vous savez toute leur histoire. Ce monument évoquera
donc pour chacun de vous ce qu’il a de plus cher. Ces figures que vous avez
connues, que vous avez aimées, et que la mort a, pour ainsi dire, auréolées.
Ah oui ! gardez bien leur mémoire pour les pleurer, pour les
pleurer encore, pour les pleurer toujours. Permettez-moi de vous dire :
pleurez-les fièrement. Vous avez voulu qu’au milieu de ce champ des
morts s’élevât cette pyramide en leur honneur afin que l’on
puisse, afin que l’on soit obligé, de se souvenir d’eux toujours.
Habitants de Berck, conservés pieusement le souvenir de vos morts
qui ne sont inconnus pour personne, pas même aux étrangers, car
ils sont tous morts pour un même idéal, la Patrie !
Et Mgr Julien rappelle leurs
souffrances et la gloire qu’ils ont apportée à notre chère
France.
« Nous devons travailler tous, sans distinction de croyances,
comme eux ont combattu coude à coude et sont tombés de
même. Vos morts, vous les regardez encore en ce moment et nous demandons
à Dieu de les recevoir dans son paradis où nous les retrouverons
un jour dans le même amour de Dieu, de l’Église et de la France.
Ainsi soit-il. »
M. Narcisse Boulanger à son tour prend la parole et lit le discours
de M. Morel.
Discours de M. Pasqual
M. Pascal, député du Nord, parle ensuite. Dans un discours
très enflammé, il dit qu’il est du devoir de tous les français
de s’incliner avec respect devant ce monument, symbole de toutes les souffrances
endurées par nos poilus, pour finir quand même par tomber sous
les balles ennemies.
« Il est une vieille légende bretonne, celle qui raconte
que les pierres parlent. Eh bien ! ceux qui dorment sous ce tombeau sont
avec nous en ce moment. Ils parlent. Ils vous rappellent tout d’abord le
2 août 1914. nous étions alors un peuple essentiellement pacifique,
nous pensions qu’une guerre était impossible et alors nous vivions
dans une profonde quiétude, lorsque nous apprîmes que la patrie
était en danger. Tous sans distinction d’opinion, de partis, parlementaires,
simples ouvriers, nous étions coude à coude. Nous serrions
nos rangs en face de l’ennemi implacable. On dit que le kaiser seul est responsable,
mais c’est faux. La nation allemande entière doit porter le fardeau
des responsabilités. Le Reichstag n’a-t-il pas signé le premier
l’ordre de mobilisation ? na nation allemande entière n’a-t-elle
pas suivi dans un même élan dévastateur ? Rappelez-vous,
poilus, les souffrances que vous avez endurées dans la boue, dans
la neige. Et vous, les prisonniers de guerre, traités pire que des
bêtes. Nous étions tous groupés, entourés d’un
même idéal, celui de la Patrie. Les Allemands pensaient qu’ils
arriveraient facilement au bout de nous parce qu’ils comptaient sur nos discussions
politiques. Ils ont été détrompés à leurs
dépens. Nous nous sommes souvenus que nous étions tous fils
de la même patrie, les soldats du même drapeau. »
Et M. Pasqual rappelle que les Allemands, encore maintenant, songe à
la revanche. Témoins en sont les assassinats de gens politiques qui
veulent travailler dans la paix : Erzberger, Rathenau et combien d’autres.
Dès qu’il a terminé, ses auditeurs le félicitent chaleureusement.
Allocution du sous-préfet.
M. Peyriga termine la série des discours. Il fait l’historique de
la guerre, des souffrances des poilus et il adresse un souvenir ému
aux camarades alliés qui dorment leur dernier sommeil au milieu des
nôtres, confondus dans le même idéal : la Liberté.
Ils sont entrés dans l’immortalité pour mieux inspirer les vivants
susceptibles de défaillir et je crois, dit l’honorable sous-préfet,
que des vivants sont en ce moment en train de défaillir.
Que les morts disent donc à leurs ministres que la France n’a jamais
été une nation d’impérialisme. Les Anglais et Français
étaient côte à côte pour la cause commune ;
ils sont tombés côte à côte ; qu’on se souvienne
de cette solidarité., qu’on rende justice à la France.
La Marseillaise est joué devant les assistants découverts
et la foule s’écoule lentement, commentant cette cérémonie
qui restera dans le souvenir de tous ceux qui y assistèrent.
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