Monument aux morts - Inauguration
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Voici comment le journal L’Avenir de Lens du 25
octobre 1923 relate la cérémonie et les discours d’inauguration
du monument aux morts de Sallaumines :
Sallaumines, superbement pavoisée, inaugurait dimanche le monument
élevé à la mémoire de ses morts.
Dans la matinée, une messe fut dite par M. l’abbé Pecque, curé
de la paroisse. M. le chanoine Régent, officier de la Légion
d’honneur, aumônier du 1er corps d’armée, y prononça
une allocution.
Dès 14 heures,, les sociétés arrivèrent des villages
voisins pour former un cortège qui s’ébranla vers 14 h 45.
On remarquait parmi le défilé : l’association philanthropique
du Nord et son conseil d’administration, la fanfare Avenir musical
de Noyelles-sous-Lens ; les Mutilés de Sallaumines ; les tambours,
clairons et trompettes de Billy-Montigny ; les Carabiniers de Billy-Montigny
; 2106e section des Vétérans de Sallaumines ; société
de secours mutuelle la Vaillante, de Méricourt-sous-Lens ; la fanfare
la Jeunesse de Loison-sous-Lens ; les sapeurs-pompiers de Beaumont-en-Artois
; orphéon, l’Avenir, de Montigny-en-Gohelle ; les Enfants du peuple
de Billy-Montigny ; société de gymnastique de Sallaumines ;
la Quand Même de Billy-Montigny ; les anciens combattants 1870-1871
de Billy-Montigny ; la 2194e section des Vétérans de Billy-Montigny
; les Mutilés et réformés de Montigny-en-Gohelle ; la
fanfare des trompettes l’Union des Poilus d’Hénin-Liétard ;
la Sainte Barbe de Billy-Montigny.
L’Alliance de Montigny-en-Gohelle ; société de gymnastique
l’Espérance d’Harnes ; l’Indépendante de Billy-Montigny ; fanfare
municipale la Lyre musicale d’Evin-Malmaison ; la Fraternité de Billy-Montigny
; les Francs Boers de Billy-Montigny ; les sapeurs-pompiers de Montigny-en-Gohelle
; Secours mutuel de Billy-Montigny ; la fanfare municipale de Rouvroy ; Un
pour Tous de Billy-Montigny ; l’Espérance de Billy-Montigny ; la musique
de Sallaumines ; l’Orphéon de Sallaumines ; la Cécilia de Lens
; les Prisonniers de guerre de Sallaumines ; secours mutuel de Sallaumines
; la fanfare de la gymnastique la Vaillante de Chocques ; sapeurs-pompiers
de Bauvin ; harmonie la Concordia de Loos-en-Gohelle ; les Poilus d’Allennes-les-Marais
; Aide et Protection d’Arras ; Prop Patria de Wingles ; les Anciens militaires
de Bauvin ; la fanfare municipale de Meurchin ; les Anciens militaires d’Armentières
; Club des chiens de défense d’Armentières ; Mutilés
et réformés de Cuinchy.
Harmonie municipale de Vermelles ; Mutilés et réformés
de Noeux-les-Mines ; l’Union ouvrière de Beaumont-en-Artois ; l’Honneur
de Meurchin ; les sapeurs-pompiers de Bully ; la Fraternelle de Rouvroy ;
la fanfare ouvrières de Provin ; Médaillés et pensionnés
de Méricourt-sous-Lens ; les Mutilés de Vermelles ; les Frères
d’Armes de Méricourt-sous-Lens ; société de tir
l’Union d’Hulluch ; les sapeurs-pompiers de Rouvroy ; 2195e section des vétérans
de Fouquières-les-Lens.
Les drapeaux et bannières vinrent se ranger au pied du monument aux
morts, bientôt suivis des veuves, orphelins, ascendants de militai
es de Courrières ; Pendavet, sculpteur ; Brunaut-Pélissier,
architecte ; André Cordier, etc.
M. le commandant Guerre, au nom du Président de la république,
épingla sur la poitrine de M. Charles Havet, la croix de la Légion
d’honneur, remit la médaille militaire à MM. Charles Normand
et Henri Poulain, tandis qu’avait lieu un lâcher de pigeons voyageurs.
M. Maurice Thellier de Poncheville, chevalier de la Légion d’honneur,
président du comité d’érection du monument, prononce
un très beau discours que nous sommes heureux de reproduire :
« Au nom de la population de Sallaumines, j’ai le devoir de présenter,
à ceux qui ont bien voulu rehausser de leur présence cette
manifestation, le monument, élevé par souscription publique
à la mémoire des 250 héros qui sont Morts pour la France.
C’est à eux, dont le sacrifice héroïque a sauvé
la France que doit aller pieusement notre première pensée.
Ceux-là se sont donnés tout entier. Ils ont fait librement
le sacrifice de leur vie et pourtant, combien n’avaient et pour s’y préparer
que la souffrance de la cruelle séparation.
Une barrière infranchissable, un mur d’airain était dressé
entre eux et leurs proches.
Ils savaient les leur oppressés sous le joug de l’envahisseur.
Ceux qui parmi vous ont souffert de ces longues années de captivité
en garderont longtemps le souvenir. Les nôtres les savaient exposés
à toutes les brutalités, et particulièrement à
Sallaumines, aux traitement parfois les plus odieux.
Aussi, délivrer leur pays envahi était certes un des grands
espoirs des enfants de ces régions, mais leur idéal était
placé plus haut car, ceux qui combattaient depuis l’Yser jusqu’aux
Vosges ont souvent marché le front haut à la mort alors que
leur dévouement, sinon leur foi en la Patrie pouvait seul leur faire
espérer la victoire, et c’est pourquoi nous devons les saluer bien
bas et, afin que leur sacrifice ne soit jamais oublié, nous inspirer
de leur héroïsme.
De semblables circonstances nous permettent d’entendre chaque semaine la
voix la plus éloquente et la plus autorisée de France, et même
du monde entier, celle du grand Lorrain, M. Poincaré qui nous encourage
incessamment à travailler dans l’union sans provocation, mais sans
faiblesse, au relèvement de notre beau pays.
En votre nom à tous, mes chers concitoyens, je prie le représentant
du gouvernement de la République, M. Bertin-Ledoux, que je remercie
sincèrement d’être venu parmi nous, de porter les respectueux
hommages de notre admiration et de notre reconnaissance à ceux qui
ont la lourde et magnifique charge des destinées de la France, à
Monsieur le Président de la République, à Monsieur Poincaré.
Cinq années ont passées déjà depuis l’heure ou
a sonné la victoire de la France.
Ceux, qui parmi vous se rappellent l’aspect de cette région, ne peuvent
se défendre d’une légitime fierté à la vue de
l’œuvre accomplie. Sur ce sol labouré par la mitraille, recouvert
de ruines encore fumantes, vous êtes rentrés dans vos foyers
ou, plutôt ce qui hélas, avait constitué autrefois vos
foyers, et dans des abris informes exposés à toutes les rigueurs
des intempéries, vous vous êtes remis à la tâche
et vos maisons se sont reconstruites à la surface du sol comme se
sont reconstituées les galeries des mines dans les entrailles de la
terre.
Oui, vous avez travaillé à gagner la paix comme vous avez contribué
à gagner la guerre.
Et votre intense désir de rentrer dans les ruines a prouvé
qu’en vous vibraient encore les fibres qui vous attachaient à la petite
patrie, ce qui démontre en même temps votre attachement à
la plus grande : à la France.
Monsieur le ministre de la guerre à bien voulu, mon Général,
vous envoyer parmi nous et de cela, nous ne serions trop vous dire notre
profonde reconnaissance.
Vous êtes venu au milieu de cette population minière, ne dédaignant
pas cette humble cité, mais vous pourrez porter à celui qui
préside aux destinées de l’armée, l’assurance que cette
population est restée aussi patriote qu’elle l’était au 1er
août 1914.
Ah certes, les travailleurs qui sont devant vous ne veulent pas la guerre,
mais ils savent qu’il faut être fort pour assurer la paix.
Ils ont confiance en votre force, ils comptent sur votre fermeté et,
au glorieux soldat qui a pour une si grande part, en les circonstances difficiles
contribué à la victoire de la France, ils expriment en même
temps qe leur admiration, toute leur reconnaissance, parce qu’ils savent
que cette victoire doit assurer pour longtemps la paix dans le monde.
L’armée est près de vous dignement représentée
; je salue particulièrement le général Potez, représentant
le général Lacapelle, retenu en ce moment près du maréchal
Pétain et je salue les officiers qui vous entourent.
Les enfants du pays sont nombreux qui serviront sous vos ordres.
Chez nous on ne boude pas à la vie, comme vous nous en donnez le très
bel exemple, mon Général. C’est l’espérance, la certitude
en l’avenir de la race qui défilait ici tout à l’heure en ces
centaines d’enfants de toutes les écoles de Sallaumines.
Ils sont vaillants nos jeunes soldats du pays miniers, et énergiques,
vous le savez mon général, aussi, au nom de leur famille, nous
vous remercions d’avoir honoré de votre présence cette inauguration
et de lui avoir donné la consécration de la plus belle et noble
armée Française, venant s’incliner devant les aînés
tombés dans la gloire des combats.
Je dois aussi un remerciement chaleureux à la société
des mines de Courrières qui a tant contribué à la réussite
de cette fête, qui a bien voulu nous offrir le terrain sur lequel est
élevée l’œuvre que nous saluons tous.
Nous remercions particulièrement son directeur général
qui, depuis si longtemps, et qui longtemps encore, nous a donné et
nous donnera le plus bel exemple d’énergie féconde en heureux
résultats, en inculquant une si grande et une si belle activité
à toute cette jeunesse du bassin minier dans les sociétés
de préparation militaire et sportives, comme dans les multiples sociétés
qui doivent tant contribuer à former des hommes, et à développer
en eux les grandes vertus qui en feront des bons français celles de
l’amour du sacrifice et du devoir.
Et enfin, merci aux innombrables souscripteurs, des plus humbles aux plus
favorisés de la fortune qui ont tous tenu à apporter leur obole
à la réalisation de notre monument, ce qui nous permet de dire
qu’il est vraiment l’œuvre de toute la population.
Grâce à leur générosité, nous avons pu
faire appel à l’artiste de grand talent que je dois féliciter
en ce jour, monsieur Pendaries.
Cher monsieur Pendaries, c’est autant avec vos sentiments patriotiques qu’avec
votre talent que ce beau chef-d’œuvre a été exécuté.
Combien nous vous en sommes reconnaissants, d’avoir su faire dire à
la pierre les sentiments qui nous animent.
Vous avez su représenter la France dans sa splendeur rayonnante, la
France fière de sa victoire, mais la France ferme dans son désir
d’imposer la paix.
Cette France que votre ciseau d’artiste a si bien représentée,
elle ne veut pas la guerre, pas plus que la mort du vaincu, mais ce qu’elle
veut ce qu’elle obtiendra à tout prix, c’est que l’aigle rapace soit
à jamais dans l’impossibilité de nuire encore au monde en venant
déchaîner la guerre. L’impérialisme est à jamais
abattu, les armes brisées qui sont au pied du socle en témoignent,
et ce n’est pas la France avide de conquête mais de paix.
Mais la France sait bien que cette paix, elle ne l’obtiendra pas en baissant
la tête, en s’humiliant ou en s’hypnotisant de fallacieuse et trompeuses
chimères, mais qu’elle l’obtiendra par son attitude digne et fière.
Oui cher monsieur Pendaries, vous l’avez symbolisée et comprise notre
patrie, car nous ne comprendrions pas, nous des pays envahis qui avons tant
souffert dans la perte de nos proches, dans nos biens que le geste de la
justice et du bon droit ne soit pas le premier geste de la France. Mais nous
voulons que justice soit faite parce que nous voulons que nos dommages soient
réparés, parce que nous voulons que les ruines accumulées
par la guerre sur notre pays, soient relevées par celui qui, volontairement,
les a causées.
Merci donc à ceux qui se sont associés à cette œuvre,
à Monsieur Bruno Pelissier qui enfanta avec l’artiste l’œuvre que
nous admirons.
A notre ami Taillez auquel revient l’honneur d’avoir exécuté
la base, d’y avoir gravé les noms de nos héros.
Merci à la presse, cette grande propagatrice des idées, qui
nous a prêté un concours si précieux.
Merci à toutes les sociétés qui ont bien voulu répondre
à notre appel, merci aux anciens combattants, mutilés, préparations
militaires, sociétés musicales, clubs sportifs, gymnastique,
mutuels, sans oublier la belle et toujours si dévouée société
philanthropique du Nord, à chacune d’elles je dis merci pour la contribution
qu’elle nous a apportée.
Merci à mes collaborateurs pour leur travail opiniâtre, leur
travail incessant qui nous a permis de vaincre toutes les difficultés,
merci, à ceux dont la seule récompense sera la satisfaction
d’avoir accomplie une fois de plus le devoir de reconnaissance envers ceux
qui ne sont plus.
Le rôle du comité et de son président va se terminer.
Cette œuvre qui est nôtre, nous allons, non pas l’abandonner, mais
la confier à ceux qui sont dignes de la recevoir.
Dès que le cadre qui doit l’entourer sera fait, dès que nous
y aurons mis la dernière main, aussitôt elle ne nous appartiendra
plus, car, dès maintenant, au nom du comité pour l’érection
du monument aux morts de Sallaumines, je remets au Souvenir Français
ce monument qui est tout à la fois notre gloire et notre raison d’espérer.
Monsieur le délégué du Souvenir Français, c’est
à votre si digne et si respectée association que je remets
le monument aux morts de Sallaumines.
Mais en même temps qu’à vous, je le confie à la population.
C’est à elle qu’il appartient. C’est sous sa sauvegarde qu’il perpétuera
dans l’avenir les noms de nos héros. Ce sont les habitants de Sallaumines
qui auront le devoir et l’honneur de le léguer à la postérité.
Et ce symbole qui vivra perpétuellement au milieu de vous, je vous
demande d’avoir souvent les yeux fixés sur lui, de vous inspirer,
non pas de son allégorie ; mais de ces multitudes de noms gravés
sur son socle les uns auprès des autres. Tant de choses les divisaient
quand ils étaient debout, tant d’obstacles qu’ils croyaient infranchissables,
tant d’opinions différentes, tant de haines fratricides les séparaient,
que la mort a réunis.
Les noms des plus grands ennemis d’autrefois sont gravés les uns près
des autres comme s’ils voulaient se donner la main. Et pourquoi donc attendre
d’être mort pour se réconcilier, quand tant de morts avant de
mourir ont su le faire pour défendre une seule et même cause.
Pourquoi ne pas rendre plus féconde notre vie.
Pourquoi se tenir si loin les uns des autres quand de grandes questions doivent
nous unir qui peuvent améliorer le sort commun.
Promettons-nous au moins que pour celles dont le mari est mort sur les champs
de bataille, pour les parents qui pleurent un fils disparu, pour l’orphelin
qui pensera à son père, pour les amis des morts de la guerre,
il y aura dans cette cité de Sallaumines, un endroit où toutes
les passions devront se taire, où nous devrons en passant nous incliner
profondément car nos morts nous diront toujours : « souvenez-vous,
et pour que notre sacrifice ne soit pas vain, il faut savoir vous estimer
entre français ».
Cette étreinte cordiale entre enfants de la même patrie que
nos martyrs tombés dans la gloire des mêmes combats nous demandent,
promettons-leur de ne jamais l’oublier. Ils nous demandent l’union dans l’amour
de la France, jurons leur solennellement de ne jamais la briser.
Gloire aux héros de Sallaumines, vive la France, vive la République
!
(…)
Puis l’Orphéon de Sallaumines et la chorale la Cécilia, exécutèrent
un chœur patriotique et la Marseillaise. Et le soir, des concerts et fêtes
de gymnastique furent donnés un peu partout.
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