Le journal le Réveil
du Nord rapporte l'inauguration du monument Barbot dans son édition
du 10 mai 1937 :
Le général Barbot et ses poilus héroïques
de la 77e division alpine ont été glorifiés
hier à Souchez ou un monument à leur mémoire a été
inauguré
La cérémonie d’inauguration
du monument élevé près du cimetière de Souchez
à la mémoire du général-soldat Barbot et de
ses vaillantes troupes alpines de la 77e division, s’est déroulée
sous un ciel gris et brumeux en présence de nombreuses personnalités
civiles et militaires et de milliers d’anciens combattants de la grande
guerre.
Le matin, au cimetière national de Lorette, enseveli sous un
immense suaire de brume, la confédération départementale
des anciens combattants qui groupe près de 100000 membres s’était
rendue en pèlerinage annuel sur les tombes des 35000 morts de la
nécropole militaire. Répondant à l’appel émouvant
du secrétaire de la confédération des anciens combattants,
des milliers d’anciens poilus entourant des centaines de drapeaux étaient
venus se recueillir avec leurs enfants sur cette colline sacrée où
tant de vies humaines ont été immolées par cet horrible
crime qu’est la guerre, selon les termes de l’appel lancé par un
grand mutilé de la face, vénéré des anciens combattants,
M. Abel Fruchart.
Après ce nouveau pèlerinage pieusement accompli, les anciens
combattants à la tête desquels marchaient leurs dirigeants
se rendirent à Souchez pour assister à la cérémonie
d’inauguration du monument Barbot.
Le maréchal Pétain qui avait accepté la présidence
de cette cérémonie n’ayant pu, pour raison de santé,
tenir sa promesse, se fit représenter par le général
Keller, chef de son état-major.
Arrivés le matin en gare d’Arras, les nombreux généraux
et les personnalités civiles et militaires se rendirent sur la tombe
du général Barbot, passant sous une voûte de soie tricolore
confectionnée de centaines de drapeaux de sections d’anciens combattants.
Là, les personnalités se recueillirent et un prêtre
catholique, l’abbé Lefebvre, ancien aumônier de la 77e
division, et un pasteur protestant, M. Pannier, aumônier, récitèrent
des prières et des psaumes. Une messe fut dite ensuite à la
chapelle, puis les personnalités gagnèrent Souchez pour assister
à un déjeuner intime.
A 15 h 30, les abords de la statue
du général Barbot sont occupés par des milliers et des
milliers de spectateurs parmi lesquels, en majorité des anciens combattants.
Le service d’ordre est assuré par M. Rosset, commissaire spécial.
Les centaines de drapeaux font derrière le monument une haie tricolore.
Devant la statue enveloppée d’une soie bleu, blanc, rouge, les dirigeants
de la confédération des anciens combattants sont là,
l’un d’eux tient la petite croix de bois sur laquelle on peut lire : Ernest
Barbot, général de la 77e division, mort pour la
France. Il y a là également, les drapeaux régimentaires
du 159e, du 97e et celui usé jusqu’à
la corde du glorieux régiment arrageois du 33e.
La foule vibre d’enthousiasme et on la sent sous le coup d’une émotion
qui va croissante. Un groupe important de l’association du 56e
bataillon de chasseurs avec M. Hauel est présent avec son fanion
jaune et bleu ; les anciens de Barbot, les Chamois et les Grelus qui, en
1915, montèrent à l’attaque du Cabaret rouge n’ont pas manqué
d’être près de leur glorieux général qui vit toujours
dans leur cœur. Il y a là toutes les vaillantes troupes dauphinoises
venues rendre un intime hommage à celui qui, vêtu d’une capote
de soldat, coiffé du légendaire béret alpin, était
pour elles un symbole de courage et d’héroïsme.
Voici les personnalités. Elles gagnent la tribune d’honneur.
On note au passage M. le général Leroy, commandant la 1ère
région, représentant le Président de la République
; M. Rochart, préfet du Pas-de-Calais, représentant le Président
du Conseil et M. Le Président de la Chambre des députés
; M. le général Prételat, représentant M. le
ministre de la Guerre ; M. le général Antoinat, représentant
M. le ministre de l’Air ; l’intendant-général Vincensini, représentant
M. le ministre des Pensions ; M. Châtelet, directeur général
de l’enseignement du second degré, représentant M. le ministre
de l’Education nationale ; M. Georges Lecomte, membre de l’Académie
Française qui eut son fils tué à Carency le 9 mai
1915 ; les généraux Demetz, Modacq, de Serrigny, Cartier,
le colonel de gendarmerie Léguillette, de Lille ; le commandant Eloy,
les capitaines Ducongé et Jérome ; les colonels Keller, Humbert,
Farjon, vice-président du Sénat ; MM. Lefebvre du Prey, ancien
ministre, sénateur ; Mgr Dutoit, évêque d’Arras ; Théry,
secrétaire général de la préfecture ; Douay,
chef de cabinet du préfet ; Janacek, représentant le ministre
tchécoslovaque ; les docteurs Hufnaghel, Brateck, des anciens combattants
tchécoslovaques ; Déchin, statuaire, auteur du magnifique
monument ; Mmes les générales Plessier et Stirn ; Mgr Sergent
; le docteur Patou, de l’UF ; Fontenaille de la FIDAC ; Devillers, président
département de l’UNC ; Abel Fruchart, président départemental
de l’UF ; Auléry, chef de zone au ministère des Pensions ;
le colonel britannique Higginson ; les colonels Thounon, du 3e
Génie ; Michet de la Baune, du 159e ; José Germain,
président des écrivains anciens combattants ; Pruvost, maire
de Souchez ; Lancino, maire d’Ablain-Saint-Nazaire ; les directeurs des
mines de la région ; Umbricht, aumônier de la place de Strasbourg
; le docteur Poiteau, des écrivains combattants ; Veil Durand, conseiller
d’Etat ; le vicaire général du comité de Lorette,
etc.
L’instant est solennel. L’émotion est intense. Des anciens de
Barbot pris de syncope tombent sur la route et des gendarmes transformés
en brancardiers transportent les malades à l’ambulance du 3e
Génie. L’hymne national retentit alors que les drapeaux s’inclinent
et que les têtes se découvrent. Un silence poignant règne
sur ce coin sanglant des anciens champs de tuerie.
L’harmonie des mines de Liévin exécute des Allobroges
et la chorale de Liévin chante ce chant célèbre.
M. Pruvost, maire de Souchez,
devant le micro va prononcer un bref discours où il dit toute sa
reconnaissance, lui, ancien de la division Barbot, pour son chef et pour
ses vaillants soldats. Le général Keller lui succède
pour lire le discours que devait prononcer le maréchal Pétain.
Ces premiers mots seront pour remercier les organisateurs : MM. Petit, Cresson
et Danchin. Et c’est ensuite l’admirable page d’histoire de la 77e
division constituée en pleine bataille de la Mortage, sous le commandant
du colonel Barbot avec les troupes des unités de montagne, unités
d’élites que l’on trouvera partout sur le front au plus fort des combats
et toujours à l’honneur. C’est la journée du 9 mai 1915 :
la Cabaret Rouge, le cimetière de Souchez, la crête de Vimy.
« La percée est faite. Pour la 77e division c’est
la victoire tactique aussi complète qu’elle pouvait l’espérer,
mais ce n’est pas la victoire stratégique ».
Et voici le 10 mai « la division est cruellement atteinte dans
son chef : le général Barbot est frappé à mort
».
« Comment expliquer l’énorme prestige que s’était
acquis le général Barbot dans le commandement de sa division
? » Voici : « Grand maigre, vêtu d’une capote de simple
soldat, coiffé d’un béret alpin, on le trouvait partout où
sa présence était nécessaire. Son regard profond et
bon exprimait une foi communicative. Chacun comprenait en l’approchant que
cet homme vivait les heures pour lesquelles il s’était préparé.
Le jour de sa prise de commandement au col de la Chipotte, chargé
de protéger le repli de l’armée d’Alsace, on dirait qu’il
la couvre de son corps. Fin octobre, alors qu’Arras semble perdu, il refuse
de l’abandonner et la ville est sauvée ».
Le général Barbot savait causer avec les hommes, il savait
exalter leur courage et sa simplicité d’attitude, bien loin de diminuer
son prestige, engendrait une communauté de pensées qui réunit
dans une même affection des hommes qui poursuivent le même but
et sont exposés aux mêmes dangers ».
Le maréchal Pétain, dans son discours, donne aux chefs
de l’armée de profonds conseil car, dit-il, « il appartient
d’abord aux chefs subalternes, chefs de section et capitaines se s’imposer
à leurs hommes par l’exemple constant des vertus militaires. De la
fermeté de leur attitude, de leur habilité professionnelles,
de leurs initiatives en face des situations toujours nouvelles, dépend
le sort de l’action ».
Et il ajoute : « Prêt à sacrifier sa vie, le soldat
a le droit d’exiger qu’il en soit fait bon usage ».
Enfin, pour terminer, le maréchal Pétain parle du problème
de la confiance : « Ce problème de la confiance dépasse
d’ailleurs le cadre militaire. Il est de tous les temps, de tous les pays,
de toutes les collectivités où s’affrontent des intérêts
divergents, où des hommes ont la charge de disposer du destin ou
du sort matériel de milliers d’autres. Qu’elle qu’en soit la forme,
sa solution se trouve dans l’appréciation exacte par les chefs des
possibilités humaines, dans leur sollicitude à l’égard
des plus humbles, dans la protection des collectivités qu’ils dirigent
contre les théories subversives et destructrices ».
D’un gente lent, le général Keller enlève le voile
qui couvre le monument et le général-soldat apparaît,
tout en bronze, comme guidant ses hommes qu’il aimait tant et qui le vénéraient.
Après cette cérémonie, des fanions ont été
remis pour le maréchal Pétain et à Mme Morillon, nièce
du général Barbot, et à Mme Stirn, femme du général
Stirn, qui fut tué également à la tête de la
77e division alpine.
Les troupes du 3e Génie, musique en tête et
drapeau, ont ensuite défilé au milieu d’applaudissements
enthousiastes devant la statue de celui qu’on appelle « le Bayard
de la Grande Guerre ».
|